Représentations sociales
Les médias sont un vecteur important de représentations sociales, ils influencent l’opinion publique. En tant que journaliste, je peux jouer un rôle dans le changement des mentalités à l’égard de la maladie mentale.
La stigmatisation empêche les individus de se soigner. En adoptant un discours nuancé et positif à propos de santé mentale, j’aide les personnes en souffrance à oser demander de l’aide.
Il n’y a pas deux groupes d’êtres humains dans le monde, à savoir ceux avec des troubles psychiques et les autres. De très nombreuses personnes y sont confrontées au cours de leur vie. N’importe qui peut à un moment donné être touché : un collègue, un proche, un ami, un voisin ou soi-même.
Pour les personnes porteuses d’un trouble psychique, la honte et la peur du jugement accompagnent souvent l’annonce d’un diagnostic en santé mentale. La stigmatisation et les représentations négatives associées aux troubles psychiques ont des effets dévastateurs non seulement sur les personnes qui vivent le trouble psychique mais aussi sur leurs proches et les soignants qui les accompagnent (1). Repli sur soi, isolement, rejet, incompréhension, peur, baisse de l’estime de soi… Les effets délétères de la stigmatisation sont nombreux et touchent les diverses sphères du quotidien : les relations familiales et sociales, le travail, le logement,…
Certes, si les représentations de la « folie » ont évolué depuis près d’un siècle, les stigmatisations restent fortes et imprègnent souvent le quotidien des personnes qui intègrent alors une image négative d’elles-mêmes (auto-stigmatisation) comme en témoignent les personnes en rétablissement :
« La stigmatisation représente une seconde maladie. Bien sûr, celle-ci vient de l’autre. Son regard inquiète, déstabilise. Chacun se retranche derrière ses dernières certitudes et se décourage. Pourtant, souvent, l’autre n’est autre qu’une projection de soi alors que nous avons intégré les représentations sociétales négatives de la maladie mentale. Un nouveau trouble vient s’ajouter : celui de l’auto-stigmatisation ». (2)
Ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Parce que nous souhaitons avancer avec vous sur les enjeux du stigmate, et parce que nous sommes convaincus qu’ensemble nous pouvons accompagner les personnes éprouvant des problèmes de santé mentale en stigmatisant moins, nous vous proposons ici de nous arrêter un instant sur la puissance des représentations sociales associées au trouble psychique aujourd’hui, et sur l’impact que celles-ci peuvent avoir sur la relation de soins.
Bien souvent, les personnes vivant avec un trouble psychique sont cantonnées dans des idées reçues ou cadres de pensée réducteurs que, avec la Fondation Roi Baudouin (FRB), nous appellerons des « frames ». L’utilisation de ces « cadres » est inévitable, notamment dans les médias, car ils permettent de communiquer rapidement sur des questions complexes. Cependant, bien qu’ils contiennent une part de vérité, ils ne représentent pas toute la vérité.
La FRB a identifié cinq idées reçues (frames) (3) :
La peur de l’inconnu
« Les personnes en souffrance psychique font peur. Elles sont imprévisibles et dangereuses. Elles doivent donc être privées de liberté. »
La maîtrise de soi
« Ces personnes doivent apprendre à être plus fortes. Elles font preuve d’un manque de volonté pour en finir avec leur(s) problème(s). »
Le monstre
« Le trouble psychique doit être combattu et les personnes qui en sont victimes doivent s’armer contre ce monstre qui les surprend »
Le maillon faible
« Les personnes en souffrance psychique font preuve de faiblesse. Elles n’arrivent pas à suivre le mouvement. Elles ralentissent les autres. Elles doivent donc être écartées du reste du groupe. »
La proie facile
« Les personnes sont victimes de leur trouble, mais sont aussi victimes des individus et des systèmes qui en tirent un bénéfice financier (groupes pharmaceutiques notamment). C’est pourquoi on ne peut pas faire entièrement confiance aux systèmes de soins ».
Suite à ces frames, il est donc essentiel de pouvoir se référer à d’autres perceptions qui déproblématisent les troubles psychiques. Nous les appellerons des « counterframes ». Bien que ces manières de voir ne soient pas non plus valables en toutes circonstances et qu’elles restent simplificatrices, elles permettent de compenser l’utilisation de « frames» réducteurs et d’obtenir ainsi un discours plus nuancé.
La FRB en a identifié sept :
La mosaïque
« Les personnes en souffrance psychique ne peuvent pas être caractérisées uniquement par leur trouble. Elles sont plus que leur trouble. »
Le cas particulier
« Dans chaque personne en souffrance psychique, sommeille un artiste ».
L’idée exprimée ici est que le trouble est l’expression de capacités exceptionnelles. Cependant, toutes les personnes en souffrance psychique n’ont pas un don particulier. Elles peuvent donc se sentir dévalorisées à cause de ce préjugé.
La jambe cassée
« Dès que le diagnostic est posé, on peut instaurer un traitement et soulager la souffrance, notamment grâce à des médicaments ».
Cette perception donne beaucoup d’espoir. Or, quand les résultats escomptés se font attendre et que les thérapies prennent du temps, on peut très vite se sentir découragé.
L’invité imprévu
« Le trouble fait partie de moi. Je l’accueille et je vais vivre avec, bien qu’il soit parfois encombrant ».
La personne comprend et accepte qu’il y a chez elle quelque chose qu’elle n’a pas voulu et qu’elle doit intégrer dans son existence.
La longue marche
« Ma vie est comme un long voyage avec des crises où je tombe et je me relève ».
La personne peut faire appel à des guides, mais c’est elle-même qui doit entreprendre le voyage. Les crises offrent des opportunités de pouvoir se relever.
La faille
« Mon trouble provient d’un traumatisme quand j’étais enfant ».
On cherche des explications sur l’origine du trouble. Les troubles sont une réaction déclenchée par des événements extérieurs, souvent traumatisants.
Le canari dans la mine
« Je suis à bout parce que mon travail et ma vie de famille engendrent beaucoup de stress ».
Nous vivons dans un monde individualisé, où le stress et la course à la performance sont omniprésents. Les troubles sont en partie causés par la société qui en demande trop aux gens.
Faits criminels
Au sein de nos représentations sociales, il existe un raccourci largement répandu entre trouble mental (schizophrénie en particulier) et dangerosité. (cfr. Idées reçues : « La peur de l’inconnu » et « Le Monstre »).
Or, seuls 3 à 5% d’actes criminels sont le fait de personnes avec un diagnostic psychiatrique. Ces personnes subissent par contre de 7 à 17 fois plus d’actes de violence que la population générale (4).
Une étude (4) menée par l’Université McGill au Canada a démontré que 40% des articles abordant des questions de santé mentale publiés dans les journaux mettent l’accent sur la dangerosité, la violence et la criminalité alors que seulement 12% traitent de ces questions sur un ton optimiste.
Perpétrés par les médias, ces peurs (dangerosité, violence, instabilité…) leur collent à la peau, marquant leurs existences au fer rouge allant jusqu’à provoquer plus de souffrance que la maladie elle-même.
Une enquête a été réalisée par l’association PromesseS sur la manière dont le mot « schizophrénie » est utilisé dans les médias français (1,3 millions d’articles) entre 2011 et 2015. Selon les résultats de cette enquête, il s’avère que ce terme est bien souvent ignoré et maltraité. En effet, la schizophrénie est rarement présentée comme une pathologie. Le discours scientifique est très peu présent. Le sujet est désincarné et il n’existe aucun discours porteur d’espoir.
De plus, les médias relaient le cliché « schizophrène = dangereux » dans 58% des articles, principalement dans la presse quotidienne régionale (5).d
Or, seulement 0,2% des crimes sont perpétrés par des personnes souffrant de schizophrénie. « Il n’y a pas plus de risque d’être victime d’un crime commis par une personne souffrant de schizophrénie que de risque d’être frappé par la foudre ! »
D
Une étude sur le lien entre trouble mental et violence a été menée en 2009. Les résultats de cette recherche remettent en question les perceptions selon lesquelles le trouble mental est une cause majeure de violence. Il en ressort en effet que le trouble mental ne permet pas à lui seul de prédire des comportements violents. La violence est plutôt associée à des facteurs personnels (âge, sexe, revenu, etc.), historiques (violence passée, détention juvénile, etc.), cliniques (toxicomanie notamment) et contextuels (divorce récent, chômage, etc.). Par conséquent, pour comprendre le lien éventuel entre actes de violence et troubles mentaux, il faut tenir compte de ces autres éléments. Pour en savoir plus sur l’étude, cliquez ici.
Une attention doit donc être particulièrement portée lorsque les médias évoquent un fait criminel. Les choix des mots et des images ne sont pas anodins. Ils nécessitent une très grande prudence. Cfr Partie 3 : Le choix des mots.
D
(1) Stigmatisation : quel impact sur la santé ?, In : La Santé de l’homme, n° 419, mai-juin 2012 (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, France)
(2) La Fleur de Patricia : carnet de rétablissement à destination de l’usager, de son proche et du professionnel. Bruxelles, En Route, 2018, p. 7
(3) Toutes ces manières de penser le trouble sont consultables dans la brochure « Tous fous ?! : parler autrement de la santé mentale » éditée par la Fondation Roi Baudouin
(4) Données vues dans la brochure « Santé mentale et médias ». Liège, Centre Franco Basaglia, 2017. Tirées de l’étude : Whitley R. & Berry S., Trends in newspaper coverage of mental illness in Canada : 2005-2010. In : The Canadian Journal of Psychiatry, 2013, 58(2), pp. 107-12 – http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23442898
(5) Présentation « Médias & déstigmatisation : peut mieux faire ! » de la journaliste du quotidien Le Monde Sandrine Cabut